De la Maison des Morts de Janácek à l'Opéra Bastille

D’une force inouïe

© Elisa Haberer, Opéra de Paris
27 septembre 2017 : L’ouvrage du compositeur tchèque revit à l’Opéra de Paris dans la production de Patrice Chéreau, dix ans après sa création à Vienne, déjà sous l’impulsion de Stéphane Lissner

Expérience immersive intense d’où jaillit une émotion qui ne nous quitte pas. Un spectacle fascinant dont la puissance repose sur la convergence de la musique âpre mais d’un lyrisme déchirant, du pathétique de ces vies brisées et de l’humanité dans le regard du metteur en scène. 

Lorsqu’il meurt en août 1928, Janácek vient d’achever cet opéra, son neuvième, d’après les souvenirs des quatre années de bagne de Dostoïevski. Il met en scène des exclus, des prisonniers politiques et des meurtriers dans un bagne de Sibérie où ils sont condamnés à terminer leur vie. Des hommes enfermés accablés dont nous allons entendre les plaintes et les aveux. Car dans cet opéra carcéral et masculin où même la lumière est glacée, tout n’est pas désespéré. "En chaque homme, une étincelle divine", les mots de Dostoïevski sont en exergue de la partition. 


© Elisa Haberer, Opéra de Paris
Son ultime foi en l’homme par-delà ses erreurs, cela s’entend dans l’ouvrage de Janácek. Une expression musicale des plus agressives, violentes et en même temps des plus déchirantes. "Des moments les plus forts qui alternent aux passages les plus lyriques qu’il m’ait été donné de connaître en musique" confesse Esa-Pekka Salonen qui en assure la direction musicale magistrale. 

Les seules voix masculines chantent souffrance, désespoir et solitude sur un registre extrême. Couleurs éclatantes de l’orchestre qui porte l’action tandis que les personnages racontent leur expérience personnelle profonde. Cris du cœur et confessions douloureuses pour espérer un semblant de compassion mais surtout retrouver un peu de leur dignité d’homme, l’énergie de vivre et d’aimer. Pour Janácek, la faute est avant tout un malheur pour ceux qui la commettent, puisqu’elle en fait des malheureux.

© Elisa Haberer, Opéra de Paris
Homme de théâtre, Patrice Chéreau possédait l’art de souligner le sens profond des textes et de le restituer scéniquement avec une grande intensité. L’espace imaginé par le scénographe Richard Peduzzi avec ses hauts murs de béton froid symbolise tous les enfermements, leur oppression. La violence également, celle des corps des seize comédiens mêlés aux dix-neuf solistes et aux chœurs. Tous font vivre le jeu désespéré de la vérité dans cet unique lieu de la prison. 
Il y a aussi ces lumières cinématographiques, ce grand souci du détail dramatique et psychologique, l’intelligence et la beauté sombre des éléments de mise en scène : aspiration à la liberté quand les détenus actionnent les grandes ailes d’un oiseau en carton, vision d’un groupe de prisonniers nus sortant des douches ou chute brutale de livres et de détritus provenant du haut des cintres. 

Peter Mattei (Chichkov) © Elisa Haberer, Opéra de Paris
Tous les chanteurs sont remarquables d’investissement donnant vie et épaisseur à chacun des personnages. Chacun a son moment de vérité, son air. Mais le Chichkov de Peter Mattei absolument bouleversant. Qualité de présence, douceur velours et justesse d'incarnation. Une voix si expressive de l’âme humaine que l’émotion traverse le corps tout entier. 

Dans la fosse, Esa-Pekka Salonen redonne la puissance évocatrice et le lyrisme noir à cette partition radicale. On vibre à l’unisson de ces épanchements orchestraux, ce feu qui dit tout. Les murmures poignants des Chœur de l’Opéra de Paris serrent le cœur. La petite voix intérieure de l’humanité souffrante émerge des ténèbres. 

Avec la reprise de cette production, l’Opéra de Paris rend hommage au travail de Patrice Chéreau disparu en 2013. Depuis le 18 novembre, une exposition retrace son parcours sur les scènes lyriques à travers les onze productions réalisées.





De la Maison des Morts de Janácek à Bastille

24 novembre 2017





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